Les mots # 21 : Aposiopèse & stichomythie… à vos souhaits !

par Jérôme Chiavassa-Szenberg | le 30 avril 2014

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Les noms des figures rhétoriques ou stylistiques sont une mine de mots savants (effrayants ?) qui seront du meilleur chic lors des dîners en ville. En voici deux. Votre mission, si vous l’acceptez est de réussir à les écrire sans faute d’orthographe.

La stichomythie n’est pas la dernière légende urbaine à la mode. Ce mot nous vient du grec stichos (ici « ligne de mots, vers ») et muthos (« récit, discours ; fable »). Au théâtre, c’est un dialogue de courtes répliques : celles-ci n’excèdent pas un vers. Contrairement à la tirade, la stichomythie produit un effet de rapidité, contribue à intensifier les sentiments, augmente la légèreté du badinage amoureux, traduit l’escalade de la violence ou de la passion, etc.

L’aposiopèse, quant à elle, vient du grec aposiopêsis (action de se faire, silence ou réticence). Elle consiste à interrompre sa phrase sans achever sa pensée… C’est à l’interlocuteur qu’est laissé le soin de la deviner. Elle nous révèle une émotion intense. Elle souligne aussi un dialogue intérieur ou encore la réticence à révéler ses pensées.

Les deux figures se marient aisément. En voici un exemple amusant et fameux tiré de L’Ecole des Femmes de Molière (II, 5) :

Arnolphe, homme d’âge mur, bourgeois et tuteur d’Agnès, vient de prendre le nom plus aristocratique de M. de la Souche. Il veut jouir du bonheur conjugal. Pour être certain de trouver sa femme vierge, il décide d’épouser Agnès, sa pupille, qu’il a fait élever dans un couvent afin qu’elle reste ignorante et innocente. Mais à sa sortie du couvent, Agnès a rencontré un jeune homme, Horace, fils d’un ami d’Arnolphe. Horace a confié à Arnolphe son amour pour Agnès sans savoir que ce dernier est son tuteur et qu’il a ses propres vues sur elle. Arnolphe essaye de savoir ce qu’il s’est passé pendant la rencontre entre Horace et Agnès. Agnès lui raconte qu’il lui a parlé d’amour et qu’elle en a été émue. Soupçonneux, il essaye de savoir si les choses ont été plus loin…

ARNOLPHE
Outre tous ces discours, toutes ces gentillesses,
Ne vous faisait-il point aussi quelques caresses ?

AGNES
Oh ! Tant ! Il me prenait et les mains et les bras,
Et de me les baiser il n’était jamais las.

ARNOLPHE
Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose ?

(La voyant interdite.)

Ouf !

AGNES
Eh ! il m’a…

ARNOLPHE
Quoi ?

AGNES
Pris…

ARNOLPHE
Euh ?

AGNES
Le…

ARNOLPHE
Plaît-il ?

AGNES
Je n’ose,
Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.

ARNOLPHE
Non.

AGNES
Si fait.

ARNOLPHE
Mon Dieu ! non.

AGNES
Jurez donc votre foi.

ARNOLPHE
Ma foi, soit.

AGNES
Il m’a pris… Vous serez en colère.

ARNOLPHE
Non.

AGNES
Si.

ARNOLPHE
Non, non, non, non. Diantre ! Que de mystère !
Qu’est-ce qu’il vous a pris ?

AGNES
Il…

ARNOLPHE, à part.
Je souffre en damné.

AGNES
Il m’a pris le ruban que vous m’aviez donné.
A vous dire le vrai, je n’ai pu m’en défendre.