Le mot #12 : cordialement

par Jérôme Chiavassa-Szenberg | le 19 novembre 2013

UNEcordialement

Aujourd’hui, notre attention portera sur l’un des mots que nous utilisons très souvent pour achever nos courriels lorsqu’un ton formel est requis : cordialement.

Cordialement est un adverbe dérivé de l’adjectif cordial. Le suffixe –ment est un suffixe adverbial permettant cette dérivation en l’ajoutant au féminin de l’adjectif. L’adjectif cordial nous vient de cordialis, latin médiéval dérivé du latin cor, cordis signifiant « cœur ». En latin, comme en français, le cœur pouvait désigner de multiples choses : au propre, l’organe ; au figuré, un être aimé, l’amour ou encore l’intelligence, l’esprit ou l’âme. Le mot cordial a gardé un sens qui se rattache au sens propre du mot cœur : un cordial (nom commun) est une potion qui ranime le fonctionnement du cœur. Au sens figuré, cordial qualifie qui agit ou parle sincèrement, amicalement, chaleureusement.

L’adverbe conserve ce sens figuré uniquement… et son contraire ! En effet, on peut saluer cordialement mais on peut aussi haïr cordialement c’est-à-dire franchement et ouvertement. La cordialité étant contradictoire avec la haine, « haïr cordialement » est utilisée pour créer un effet rhétorique ironique qui suscite l’étonnement, renseigne sur la personnalité du narrateur ou du personnage et confère une grande intensité à la haine en question.

Si l’on retourne à nos courriels, on découvre que le mot « cordialement » peut être interprété de façons variées. Un « cordialement » adressé à un ami devient synonyme de froideur… voire d’agressivité. En effet, dans ce cas de figure le mot est mal interprété car il est implicitement associé à un contexte professionnel très formel où un courriel signé « cordialement » est soit une formule de politesse creuse soit un message poli pour signifier l’agacement. A des années lumières de la sincérité et de l’amitié.

Manifestement certaines situations influencent la signification de cordialement et son interprétation. Ce ne serait pas la première fois que cela arrive. Sans connaître le détail de son évolution sémantique, on pense au verbe énerver : quelqu’un qui s’énerve ou qu’on énerve fait preuve d’agitation et d’agacement, on l’exaspère, on l’irrite, il est en colère. Pourtant le mot renvoie étymologiquement à l’action de retirer les nerfs. On pourrait donc plutôt penser qu’en énervant quelqu’un on diminue son excitation, qu’on lui ôte de la force. C’est pourtant un sens caduque de nos jours. Il y a donc de vraies modes dans les formules de politesse épistolaires, nul doute que les fameux « bien à vous », « bonne journée » ou pire « belle journée » connaîtront le même sort que « cordialement ».

En résumé : cordial ment. Parfois.