Décryptage : faut-il avoir peur du latin?

par Jérôme Chiavassa-Szenberg | le 5 décembre 2013

Unelatin

Il n’y a pas si longtemps, des étudiants ont contacté Nomen pour avoir notre avis sur un nom qu’ils avaient inventé dans le cadre d’un projet d’étude. Avant de remettre leur projet à leur professeur, ils se sont posé la question de savoir si leur démarche était bonne en terme de naming.

Le nom était Timeo et devait nommer une montre intelligente (une smartwatch). La montre était en particulier destinée aux sportifs joggeurs et intégrait donc des capteurs pour mesurer l’effort (type rythme cardiaque) ainsi qu’une interface en Bluetooth avec des applications diverses.

Nos étudiants choisirent ce nom pour traduire la fonction première d’une montre, donner l’heure et mesurer le temps (ang. time) – et puisqu’on parlait de jogging, ils décidèrent de l’articuler à celle du mouvement (lat. moveo « je meus ») et à la dimension individuelle (lat. meus « mon, mien ») qui est celle du coureur.

En voyant le nom, l’un d’entre nous tiqua en disant « il y a un problème en grec avec Timéo, ça veut dire ‘j’honore’ mais aussi ‘je crains, j’ai peur’ ». Ni une ni deux, il vérifia mais dut admettre qu’il s’était trompé : en grec ancien, timaô (timô) signifie bien l’idée d’estimer grandement, d’honorer mais pas celle de crainte.  C’est alors qu’il contrôla en latin et fit mouche : timeo, es, ere signifie « j’ai peur, je crains ».

Vu le contexte, nous ne pensons pourtant pas que ce sens en latin motive l’abandon du nom. Si ce nom était destiné à un médicament, par exemple, peut-être aurions-nous fortement mis en garde nos étudiants en leur disant que le message était très ambigu. Dans ce cas pourtant, on peut parier que l’anglais time va largement s’imposer sur le latin. Quand on contrôle un nom de marque en grec ancien ou en latin – et d’ailleurs dans la plupart des langues – il faut toujours tenir compte du contexte : à quoi sert ce qui est nommé ? Quelle est la cible ? Quelle est la zone géographique concernée ? Que veut-on dire de ce produit ? etc. Cela permet de mieux apprécier les éventuels obstacles linguistiques.

Le latin, c’est vraiment bien. Mais il doit être recontextualisé et sollicité intelligemment pour ne pas devenir un frein.