Le mot #63 : Zéphyr

par François Cerruti-Torossian | le 4 décembre 2017

Jean de La Fontaine, de Pierre Julien, Louvre

Jean de La Fontaine, de Pierre Julien, Louvre

« Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr »

Par cet alexandrin tiré de la fable que La Fontaine préférait, à savoir Le Chêne et le Roseau, le grand poète français convie ici notre regard et notre esprit : au détour de l’étrange « zéphyr » et en cette saillie où sa pensée se cristallise.

Dans cet extrait, en effet, le Chêne prétend que sa condition est supérieure à celle du Roseau. « Tout vous est aquilon », dit le Chêne au Roseau, l’aquilon désignant ce vent dangereux et glacé des terres du Nord, qui s’abattrait et s’acharnerait sur le Roseau.

Le Chêne, continuant, dit au Roseau : « tout me semble zéphyr », le zéphyr étant, contrairement à l’aquilon, ce vent tiède et caressant, tendre et favorable (on l’appelle du reste “Favonius” en latin), compagnon antique des dormitions d’été.

Accrochés par son orthographe énigmatique, le zéphyr nous attire assurément et nous intrigue en même temps. D’où vient-il ? Du grec ancien « ζόφος » (prononcé “dzophos”) qui signifie « la région obscure ». Le Zéphyr représente, il est vrai, ce grand vent provenant de l’Ouest, de ces terres où le soleil se couche et se meurt, dans les obscurités naissantes de la nuit. C’est un vent chaud en provenance de ce monde où le brûlant du ciel se fait lentement flammèche douce. Le zéphyr, saphir des vents aux multiples facettes, prend donc la forme d’un vent chaleureux et liquoreux, sulfureux et mystérieux.

En français, il est certes défini comme « un vent doux et agréable, une brise légère », nous dit le Petit Robert. Le Grand Siècle n’aura pas manqué à sa bienséance. Semblant presque rimer avec « désir » ou « plaisir », le « zéphyr » aura été synonyme de douceur et de bienveillance, mais aussi d’une chaleur plus audacieuse.

Dans la mythologie grecque, Zéphyr, jaloux de l’union du dieu solaire Apollon et de son jeune amant, le prince spartiate Hyacinthe à la beauté enchanteresse, dévoile toute l’ardeur d’une face plus sombre, fidèle à ses origines complexes. Oui, Zéphyr, envieux, n’hésitera pas à détourner de son souffle le disque lancé par Apollon blessant mortellement Hyacinthe élu de son cœur.

Ainsi, reprenant le fil de notre cher La Fontaine, le Chêne prétend-il, présomptueux, que, fort d’une robustesse à toute épreuve, les tempêtes lui seraient semblables aux suavités aériennes du zéphyr… Il ne savait pas si bien dire !

La fable du Chêne et du Roseau nous enseigne en effet que, sous les assauts d’une tempête effroyable, le Chêne, fort en apparence, peut se rompre facilement, alors que le roseau, lui, plie, mais ne se rompt pas.

Le Chêne avait assurément tort de se placer imprudemment sous l’empire des ambivalents auspices zéphyriens…

En un mot comme en cent : on comprend désormais aisément que le Zéphyr et la douceur de son air réconfortant ne soufflent pas toujours, finalement, comme on l’entend, comme on l’attend, pour ceux que l’on prétend.

Mieux que quiconque, la lecture ou relecture du Chêne et du Roseau de La Fontaine nous rappelle toute la richesse et les subtilités de ces Fables magnifiques, d’un auteur immense, fables qui nous paraissent enfantines aujourd’hui, mais qui portent en elles pourtant une très grande maturité et une profondeur, aussi, peut-être insoupçonnée :

http://www.lafontaine.net/lesFables/afficheFable.php?id=22

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