Du sens #5 : Noms exotiques

par François Cerruti-Torossian | le 21 mai 2019

Les noms exotiques, ou noms étrangers à très fort potentiel évocatoire, s’observent tant en linguistique qu’en branding. Ces noms importés évoluent au fil du temps, de leurs premiers pas dans nos sociétés jusqu’à leurs consécrations, placés aux sommets des rayons de nos supermarchés ou nichés tels des joyaux inscrits au cœur de nos romans. Vous vous êtes peut-être déjà demandé pourquoi certains noms étrangers, dans nos œuvres littéraires ou sur nos étals, avaient été francisés ou bien étaient usités en français tels que dans leurs langues d’origines. Voici quelques éléments de réponses à vous donner.

Sur le plan linguistique, on parle d’endonyme (type de nom étranger) pour désigner, très précisément, la façon dont un peuple se désigne lui-même ou bien désigne sa langue. Et inversement, par exonyme on entend la façon dont un peuple désigne dans sa langue un autre peuple ou une autre langue. Ainsi ne parle-t-on plus tellement, en français, d’indien ou d’iranien, affreux exonymes, mais bien de hindi et de farsi, magnifiques endonymes ! En revanche, on parle d’arabe et de russe, et non d’arabi ou de rousski, qui cependant pourraient parfaitement constituer leurs endonymes dans notre langue. Signes probablement d’un effet de distanciation plus ou moins important.

En littérature, on se rappelle avec délice d’un certain dandysme orientaliste, celui notamment des fameuses relations de voyage, des romans qui à foison rapportent les itinéraires d’écrivains et d’aventuriers partis en Italie, en Grèce, à Constantinople, en Égypte ou à Jérusalem, romans truffés, avec gourmandise de noms exotiques tout à fait méditerranéens ou orientaux, non traduits donc, simplement usités tels quels, bruts, ou translittérés phonétiquement, et que le lecteur du XIXème siècle ne devait probablement pas comprendre. Cet usage exotique venait cependant nourrir tout un imaginaire, tout un decorum de realia orientales toutes plus picaresques et pittoresques les unes que les autres, pour le plus grand bonheur de la littérature orientaliste.

Ainsi Théophile Gautier dans son Constantinople cite-t-il amoureusement au fil de son récit force hammal pour porteur, tombeki pour calumet, feredgé pour voile, rebeb pour violon, cawa pour café, ainsi que kébab (déjà !) qu’il n’est plus nécessaire d’expliciter, entre autres mots turcs, comme pour donner d’autant plus corps à son propos.

Semblablement, dans le domaine des marques, il est possible de discerner une mode en faveur de l’ethnicisation des noms de produits, voire des noms de marques. Force est de constater qu’à l’aune de l’intégration des noms de produits étrangers au sein de la culture française, au fur et à mesure que leur appropriation se fait de plus en plus vive, comme transfigurés par une existence nouvelle, reconnue et renommée, ces noms retrouvent malicieusement leur morphologie d’origine. En effet, on parlera de marque exotique pour désigner des noms qui sont usités dans une langue cible sous la même forme que dans leurs langues sources ou bien simplement translittérés phonétiquement, à des fins commerciales.

Oui, auriez-vous ainsi remarqué que, presque insensiblement, subrepticement pour ainsi dire, le thé vert était devenu matcha, le grec döner kebap, le citron du Japon yuzu, l’épicerie italienne drogheria italiana ? Curiosité savoureuse de l’histoire, les règles de la typographie classique nous invitent justement à distinguer les noms étrangers en français à l’aide de l’italique, signe supplémentaire de leur exotisme. Dans ce sillage, une jeune start-up parisienne, spécialisée dans la foodtech torréfactrice, par-delà le commun café, a d’ailleurs décidé de se désigner elle-même Kawa, naturellement, qui n’est autre que la translittération phonétique en alphabet latin du mot signifiant « café » en arabe (قهوة /cawa/).

Ainsi, lorsqu’un produit étranger a atteint le firmament de son succès, son nom tendrait entre autres à s’exotiser de nouveau, recouvrer les habits linguistiques de ses ancêtres comme pour parler plus vrai, sonner plus véritable, plus fidèle à ses origines, dans une renaissance dialectique. Il est piquant de constater, en effet, que cette exotisation, voire ethnicisation, des noms de produits étrangers va de pair avec leur francisation : parce que devenus complètement coutumiers et français, ils retrouvent les voies de leur extraction onomastique, comme pour se renouveler. Élément de différenciation, argument de vente ou encore gage d’authenticité marketing ?

En outre, pour illustrer ce trait exotique revendiqué, on remarquera la translittération toute phonétique de la marque de motos chinoises Zongshen. De façon tout à fait assumée, ce nom constitue, il est vrai, une translittération phonétique stricte en alphabet latin du nom de cette marque originellement en idéogrammes chinois (宗申 /zōng ʃēn/).

Les noms exotiques de façon générale, qu’il s’agisse d’endonymes ou de marques exotiques en particulier, participent d’un même grand mouvement d’affirmation culturelle à l’échelle mondiale (la Birmanie récemment devenue Myanmar, à seul titre d’exemple). Ainsi les noms exotiques ouvrent-ils un champ original à l’inspiration, littéraire ou commerciale, presque infini, et qui donne le vertige, vertigo verborum, éblouissement des mots qui pourrait tous, aujourd’hui comme hier, nous ravir.

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