Une histoire de “stories”

par Tom Drechou | le 12 août 2016

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Vous ne vous appelez pas Evan Spiegel et c’est bien dommage. Pas que le nom soit particulièrement réjouissant mais la personne qui le porte a aujourd’hui 26 ans et est à la tête d’une fortune de 2,1 milliards de dollars (d’après le magazine américain Forbes). Vous avez déjà, maintenant, un peu plus envie de vous appeler Evan Spiegel. Savoir que cet ancien étudiant de Stanford est aussi fiancé au mannequin australien Miranda Kerr devrait finir de vous convaincre. Pourquoi cette vie ? Tout part d’un projet de classe qui se transformera peu à peu en fantôme. Un fantôme qui peut se targuer d’être le plus visible de tous les fantômes. Un fantôme nommé Snapchat.

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Le 3 août 2016, une célèbre plateforme de retouche photo sur smartphone, étendard de la « Génération Y », sort une mise à jour logiciel comprenant parmi ses nouvelles fonctionnalités les « Stories » : de courtes vidéos qui s’enchaînent retraçant bout à bout une journée d’un individu. Le petit oiseau bleu s’embrase et crie au « plagiat » : il n’y a qu’une seule « Story » qui vaille, celle de Snapchat ! Pourquoi une plateforme rachetée 747 millions de dollars en 2012 par Facebook, en valant près de 35 milliards aujourd’hui (estimation Citigroup) se serait rabaissée à copier un concept déjà existant et largement populaire, cinq ans après la sortie de son concurrent ?

Tout d’abord, les chiffres : Snapchat représente 150 millions d’utilisateurs actifs journaliers (juin 2016 – Bloomberg) dont 71% ont moins de 25 ans. C’est une hausse de 100 millions en 2 ans. L’application est valorisée à 16 milliards de dollars et elle est seule sur son marché. Un alignement de zéros à faire pâlir d’envie les pontes de Palo-Alto (siège de Facebook et par extension d’Instagram) !

Si untel avait envie d’envoyer des photos et des vidéos drôles à ses amis, il y avait les sms, WhatsApp, Skype à la limite pour voir la tête de votre BFF tous les jours ou la vraie vie. Pourtant, le concept de départ se démarque par sa volonté d’instantanéité : chaque photo ou vidéo a une durée de vie de quelques secondes. Pratique pour envoyer des images sans limite de respect de soi et sans éthique aucune ! Pendant de nombreuses années, le concept stagne. Il faut alors injecter du sang neuf et savoir se renouveler. Dès lors interviennent de nombreux filtres douteux (langue de chien, couronne de fleurs ou vomi d’arc-en-ciel – oui, oui), des « géo-filtres » et des possibilités de sauvegarder ses snaps.

Au-delà d’une réelle avancée technologique, le « boom » de l’application s’explique par un changement d’usage. Snapchat est devenu plus que du simple échange de photos amusantes, c’est devenu une plateforme à raconter des histoires. Son histoire. Le changement se traduit alors par le passage du « T’as Snapchat ? » à « Regarde tes Snaps ! ».

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Revenons-en à Instagram. L’application qui rend tous vos plats appétissants, tous les murs charmants et tous les trottoirs intéressants espère toucher une cible plus large que son concurrent. De légers détails techniques comme une meilleure qualité vidéo ou une plus grande facilité pour trouver des personnes à suivre ne suffisent pas à justifier un tel copiage. Le raisonnement est à chercher ailleurs. Dans un premier temps, par cette fonctionnalité, Instagram divise le marché et fait descendre Snapchat de sa position de monopole : c’est toujours bon à prendre. Dans un deuxième temps, la filiale de Facebook a encore bon espoir de se démarquer dans l’usage : plus « quali », plus « poli », à l’inverse d’un Snapchat plus « intime ».

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Le résultat de cette division sur ce segment impliquera une nouvelle réflexion pour les marques. Certaines y verront l’opportunité d’offrir encore un nouveau regard sur leur image si la fonctionnalité est bien maniée, d’autres préfèreront rester fidèle au petit fantôme afin d’impliquer le consommateur de manière à créer une relation plus confidentielle. Côté particuliers, l’utilisateur de réseaux sociaux pourra en sortir grandi. Régulièrement, un marché comportant 2 acteurs majeurs soutenus par de larges moyens financiers peuvent signifier de grandes évolutions à l’avenir.

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Le voyeurisme extrême, concordé avec un besoin grandissant de partager tous les moments de sa vie, n’est pas prêt de disparaître ! L’histoire a fait couler beaucoup d’encre et les hypothèses sur le pourquoi du comment sont nombreuses. Pourtant, cette mise à jour n’est peut-être tout simplement qu’un caprice de Zuckerberg encore légèrement aigri du rachat manqué de son concurrent…

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