Un nom commun peut-il être un nom de marque déposée ?

par Maurice Dupont | le 19 novembre 2008

Un nom de marque n’est pas nécessairement un néologisme. Il n’est pas rare qu’un nom commun, donc un signifiant dans une langue donnée, soit utilisé comme nom de marque. Cela peut poser des problèmes juridiques lorsque ce nom commun est utilisé par une autre marque pour l’un de ses produits. En effet, ce nom est-il un nom commun – auquel cas tout un chacun peut l’utiliser – ou bien est-il un nom protégé ? Le principe général, connu sous le nom de principe de spécialité de la marque, est qu’un nom commun ne peut être valablement protégé comme marque que s’il ne constitue pas un caractère ou une qualité essentielle du produit ou du service désignés.

Un article de M. J. Watin-Augouard nous suggère un exemple. Au début des années 1970, Michele Ferrero invente une friandise à base de lait et de chocolat. Le nom retenu est le mot allemand qui signifie « enfants » : Kinder (das Kind « l’enfant » ; die Kinder « les enfants »). Le nom désigne la cible du produit. Kinder connaît un franc succès auprès des enfants. Le nom devient donc rapidement un nom de marque bien établi. Si bien établi que Kinder devient une marque-ombrelle : en diversifiant la forme du produit, en décomposant le temps de commercialisation (ex. : calendrier de l’Avent Kinder), ou en diversifiant la cible (ex. : Kinder Bueno s’adresse aussi aux adultes). Désormais Kinder ne s’adresse plus qu’aux enfants.

Mais compte-tenu de sa notoriété, il n’est pas toujours facile de savoir si, commercialement parlant, Kinder a statut de nom commun ou de nom de marque protégé. En 2007, le confiseur allemand Haribo lançait un nouveau produit : Kinder Kram (« trucs d’enfants »). Au même moment, le groupe Zott lançait lui aussi une friandise nommée Kinderzeit (« temps des enfants »). Ferrero tenta alors de faire interdire ces produits sous prétexte qu’ils utilisaient le nom de son propre produit. À Karlsruhe en Allemagne, le 20 septembre 2007, la Cour fédérale de justice jugeait que le mot Kinder ne pouvait pas être la propriété exclusive de Ferrero. Selon la Cour, Ferrero pouvait protéger l’image graphique de son produit, mais non le mot Kinder, mot trop commun pour qu’une marque se l’approprie. La différence des emballages entre Ferrero Kinder, Haribo Kinder Kram et Zott Kinderzeit permettait la commercialisation simultanée des trois produits. Rapporté au principe de spécialité, on peut dire que le mot Kinder est apparu comme un caractère essentiel d’un produit adressé aux enfants. Toujours est-il que ce jugement invalidait un précédent sur le même thème : en août 2007, le Tribunal administratif fédéral, basé en Suisse, avait refusé le droit à Jackson International Trading d’appeler l’un de ses produits Kinder Party arguant que le mot Kinder en tant que marque était attaché à Ferrero seulement.

L’un des exemples français les plus connus de noms communs (ou plutôt ici de locution) déposés en tant que marque, c’est Vente-privee.com. En 2001, lorsque Jacques-Antoine Granjon crée ce site de commerce de déstockage, il choisit le nom de vente-privee pour retranscrire au plus juste la nature de son service. Cette marque, que certains de ses concurrents accusent d’être descriptive, sera l’objet d’une rude bataille devant les différents tribunaux. Finalement, en 2017, la cour de cassation confirme la validité de la marque « vente-privee.com » en précisant que cette dernière a acquis un caractère distinctif lors de son usage, a posteriori de son dépôt. En 2019, vente-privée.com a finalement changé de nom, parce que tout commun et protégeable qu’il était, le nom vente-privee.com n’était pas un bon passeport pour l’international. Depuis, l’entreprise se nomme VeePee.