Interview de M. Yamasaki, PDG de TCD Japan

par Francesca Sabben | le 15 janvier 2021

     A la suite du partenariat exclusif conclu entre Nomen et l’agence de communication japonaise TCD, nous avons le plaisir de vous transmettre l’interview conduit avec M.Yamasaki, directeur général de TCD. Cette société créée il y a plus de quarante ans compte parmi les agences de création de marques de référence au Japon, collaborant pour des clients nationaux et internationaux.

Les réponses apportées par ce dirigeant d’entreprise japonaise permettent d’apporter un éclairage intéressant sur l’impact du Covid-19 sur la situation économique au Japon, plus particulièrement dans le secteur du design et de la communication.

L’interview de M.Yamasaki fournit également des informations très utiles sur les méthodes et spécificités du naming au Japon : bénéficier du regard interne d’un des acteurs prépondérants du secteur est un privilège !

  1. Dans la situation actuelle, l’impact du Covid-19 a eu, et a encore, un impact énorme sur l’économie européenne. Cela ne semble pas être le cas au Japon, pourriez-vous nous en dire plus sur les conséquences effectives de la crise économique mondiale sur les activités de TCD ?

     Même si nous relevons des différences d’impact selon les régions, les conséquences économiques désastreuses sont perceptibles autant au Japon qu’en Europe. Beaucoup de nos clients sont connectés avec le monde entier et travaillent en étroite collaboration dans des entreprises dans de nombreux pays. Par conséquent, cette interconnexion permanente implique un impact significatif sur nos performances commerciales et nos transactions. Certains projets dans lesquels nous étions engagés sont même encore suspendus, voire totalement annulés.

     De plus, l’introduction du télétravail et la réduction de l’espace dans notre propre bâtiment ont eu un impact majeur sur la façon dont nous travaillons.

Maintenant que nous sommes en hiver, la troisième vague du Covid-19 se propage, la situation est véritablement difficile et incertaine pour les affaires commerciales au Japon, et un impact économique supplémentaire est attendu à l’avenir pour l’année 2021.Cependant, nous pensons que le département design de notre agence aide notre entreprise en ces temps compliqués. Nous projetons pour 2021 que la partie design de notre activité va continuer à soutenir notre agence, cela marquera un tournant majeur dans l’histoire de notre agence et une réorientation d’une part de notre business.

     Et surtout, je m’inquiète des conséquences de la pandémie en France. J’avais prévu de me rendre moi-même à Paris en 2020, au regard de la situation sanitaire, cette visite n’a malheureusement pas pu être envisageable, mais j’espère de tout cœur pourvoir la reporter en 2021 si le contexte global est plus serein. J’ai déjà eu la chance de me rendre à Paris par le passé et j’en suis reparti en ayant puisé beaucoup d’inspiration en tant que designer. J’espère sincèrement que la situation mondiale se calmera prochainement et j’attends avec impatience le jour où l’on pourra se rencontrer à Paris.

  • Il semblerait que les principaux clients de TCD soient des entreprises japonaises, pourriez-vous nous donner plus d’information sur le secteur du naming au Japon ? Est-il considéré comme un domaine d’expertise et de spécialisation spécifique ?

    Par le passé, nous avions de nombreux projets de dénomination de produits dans le secteur BtoC, mais plus récemment je dirais que nous sommes plus impliqués dans de nombreux projets de dénomination de services pour les entreprises BtoB. Dans tous les cas, nous pensons que l’aspect le plus important est d’incarner le concept de marque et de créer des mots auxquels nos clients peuvent pleinement s’identifier.

    Nous pensons que la dénomination est extrêmement importante dans les cas où nous avons besoin d’une stratégie de communication permettant aux clients et aux services de comprendre intuitivement et correctement les valeurs et l’identité propre à la marque. Cette observation est notamment vraie avec le nouveau défi de renforcer les contacts avec les clients en ligne, il s’agit bien évidemment d’une tendance de fond observable depuis une dizaine d’année et qui se renforce avec la crise du Covid-19 et la digitalisation croissante des services.

  • Le domaine du naming est largement influencé par les différences d’alphabets utilisés, or la langue japonaise présente de nombreuses caractéristiques morphologiques particulières, dont trois alphabets particuliers. Comment intégrez-vous les caractéristiques de la langue japonaise dans votre travail de dénomination? De même, lors de la création d’un nom pour un usage international, comment exploitez-vous les caractéristiques du japonais pour l’expansion mondiale? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la méthode utilisée ?

     Contrairement à l’alphabet latin, lorsque les Japonais lisent du japonais, en particulier l’alphabet hiragana, ils peuvent attribuer de nombreuses significations à partir d’une seule et même lettre. De plus, la complexité est renforcée car chaque forme de caractère de l’alphabet japonais possède une expression qui lui attribue une intonation plus ou moins douce ou dure, simple ou complexe. La composition globale du nom est bien sûr complétée par la combinaison de plusieurs lettres, mais le nom en lui-même change en fonction du son et de la forme des lettres.

De fait, au niveau de notre méthodologie nous valorisons la dénomination par le son et le design au sein de l’agence TCD. Et au niveau de la création de noms destinés à un usage international, pour éviter des marques similaires, nous proposons souvent des noms retravaillés à partir d’un mot issu de la langue japonaise. C’est généralement le cas avec “Adobe Sensei”. Certaines des réalisations de notre entreprise sont par exemple “NOBORI” et “MIRAIMU”. Bien que TCD puisse grandement contribuer à la production de noms au Japon, nous avons peu d’expérience dans le développement mondial et nous attendons beaucoup de ce nouveau partenariat avec l’agence Nomen.

  • Quelles sont les tendances actuelles dans le domaine du naming au Japon en ce moment?

     Au cours des dernières années, les clients ont tendance à préférer des noms aux intonations douces plutôt que des propositions pointues en termes de signification et de nuances de teintes pour le logo. J’ai pu observer que les dénominations émotionnelles et sensuelles sont préférées de manière générale, cela renvoie peut-être à un besoin inconscient de douceur, de bienveillance et à une volonté de réintroduire plus d’humanité, même dans le secteur économique.

  • La part des marques françaises présentes au Japon est-elle élevée ? Hormis les marques françaises qui se développent au Japon, il semblerait que les marques japonaises ont tendance à préférer les noms français. Pourriez-vous nous apporter quelques explications à ce propos ?

     Au Japon et même au niveau international, je considère que les marques américaines sont prégnantes et sont dotées d’une implantation extrêmement forte. Néanmoins, l’image de la France est aussi solidement établie, surtout dans le secteur de la mode et du luxe. Il semblerait que cela soit une ancienne stratégie commerciale française, mais cette impression est encore aujourd’hui très forte dans l’archipel japonais.

     Cependant, de nombreux Japonais ne connaissent pas la langue française, donc même s’ils l’utilisent, c’est surtout pour renvoyer à une certaine tendance et convoquer des images et notions présentes dans l’inconscient collectif. Mais cela varie en fonction des secteurs d’activité, car bien que les noms et marques français soient prépondérants dans les domaines de la beauté, de la mode et du luxe, ce n’est pas le cas de l’automobile par exemple. En effet, dans le cas des automobiles, sur 6% des ventes de voitures neuves au Japon en 2019, environ 300 000 sont des voitures importées, dont environ 70% sont des voitures allemandes… Et les voitures françaises représentent quant à elles un pourcentage de 8%. Ainsi, nous pouvons en déduire que la part de la France dans l’automobile n’est pas très élevée au Japon. Il n’en reste pas moins que pour de nombreux Japonais, la France possède toujours un domaine d’expertise majeur dans les secteurs de la mode, de la gastronomie et des arts. Par conséquent, les noms de marque aux sonorités françaises sont extrêmement présents dans ces catégories.

  • Dans quels domaines les marques françaises sont-elles les plus implantées au Japon?

     Pour revenir sur le secteur de la mode, des entreprises historiques telles que Chanel, Louis Vuitton et Hermes ont continué à faire figure d’autorité au Japon, autant que dans le monde entier. Personnellement, lorsque je pense à la France, je pense automatiquement à une culture bien spécifique, avec un artisanat, un savoir-faire ancestral et des domaines d’expertise bien développés et éprouvés depuis des centaines d’années, notamment pour les marques de luxe, l’habillement, l’œnologie, la gastronomie et les hôtels.

  • En matière de communication, quel est le réseau social le plus utilisé dans le monde par les professionnels japonais (quel que soit leur secteur d’activité)? L’utilisation des réseaux sociaux est-elle efficace non seulement pour ancrer l’agence TCD comme une véritable référence dans l’esprit des individus, mais aussi de permettre d’approcher de nouveaux clients?

En termes de réseaux sociaux au Japon, le plus populaire et utilisé est incontestablement LINE, suivi de près par Instagram, TikTok est également très populaire auprès des jeunes. Twitter est de manière exceptionnelle plus populaire au Japon par rapport à d’autres pays, et se place bien devant Facebook. Twitter est également très sollicité et utilisé pour des démarches professionnelles.

  • En ce qui concerne le secteur du design, pensez-vous que le design japonais présente certaines caractéristiques particulières en termes de forme et de couleur? Et en termes de coloris, y a-t-il certaines teintes de prédilection au Japon et qui plaisent de manière prépondérante à vos clients ? Et au contraire, pourriez-vous lister quelques couleurs à proscrire ?

     Je pense qu’au Japon la réception du design est relativement flexible, donc il n’y a pas de coloris à véritablement privilégier ou à l’inverse bannir. Cependant, , le violet est une teinte qui aura tendance à être relativement évité. De plus, dans le domaine de la nourriture et de la gastronomie, les couleurs froides ne sont pas très populaires et sont par conséquent très rares pour les emballages alimentaires.

  • Si vous souhaitez concevoir un design qui renvoie explicitement à l’image de la France, à quels éléments, quels coloris, quels symboles allez-vous mobiliser ? Si nous nous référons aux stéréotypes, ce serait un béret, une tour Eiffel, un croissant, etc. Mais est-ce toujours le cas et le recours à ces stéréotypes est-il valable pour les créatifs et les japonais en général ?

     Dans le cas des produits et des services qui proclament clairement un concept «inspiré de la culture française», il est fort probable que le design fasse référence à des motifs qui rappellent la Tour Eiffel et les couleurs tricolores du drapeau français. Ces symboles sont facilement compréhensibles et aisément reconnaissables par les Japonais en véhiculant immédiatement un imaginaire français. De la même manière, les designers en dehors du Japon utilisent les images des fleurs de cerisier, du mont Fuji, de kimonos et de temples lorsqu’ils souhaitent renvoyer explicitement à la culture japonaise. Le recours à certains stéréotypes est toujours un moyen efficace de renvoyer à un environnement culturel en particulier et à suggérer un pays, surtout à l’étranger. Même si l’utilisation de tels symboles peut sembler un peu cliché voire simpliste, cela permet d’améliorer l’efficacité de la communication visuelle et du message transmis par la marque. L’évolution et la diffusion massive d’Internet a permis à quiconque d’obtenir plus facilement des informations sur le monde entier, mais paradoxalement nous restons majoritairement marqués par le même type de symboles visuels. De manière générale, les Japonais considèrent que le style japonais est définitivement plus sobre et délicat que le style occidental, qui apparaît à l’inverse comme assez coloré voire flashy.