Les marques de luxe à l’heure du conte de fées

par Nina Derai | le 28 août 2018

Parmi toutes les scènes de ses films d’animation, Walt Disney disait qu’il préférait le moment où Cendrillon recevait sa robe. Passage entre réalité et monde imaginaire, la transformation de la jeune femme qui se couche dans les cendres, en princesse de contes de fées, symbolise le lieu du merveilleux. 

Comme les contes, l’essence de l’objet de luxe est de communiquer à son public un univers inspiré des créateurs, de l’héritage et de la culture de la marque. Le défi de l’industrie du luxe est donc de se détacher de sa tangibilité inhérente pour accéder à l’imaginaire.

La marque originelle et l’origine des contes

L’origine des contes de tradition orale demeurera une question sans réponse. Il existe des versions américaines, chinoises, africaines, européennes de Cendrillon dont nous ignorons si elles ont voyagé ou si elles sont nées indépendamment les unes des autres parce qu’elles sont le fruit de l’inconscient collectif de l’homme.

Quoi qu’il en soit, le conte a l’avantage d’être universel et en même temps ancré dans les cultures et les folklores de chaque région du monde. Pour les marques de luxe, tiraillées entre la volonté de communiquer à un public désormais mondialisé et leur nécessité de préserver l’empreinte culturelle de leur maison, la référence aux contes s’annonce comme une alternative idéale.

Les marques de luxe explorent la puissance sémiologique des contes pour déployer tout un récit le temps d’une image. Avec une fille en rouge et un loup, l’histoire défile dans nos imaginaires, comme une panthère résonne Cartier ou un cheval nous mène vers le monde d’Hermès. Dans sa collection de joaillerie de 2017 Le Marché des Merveilles, Gucci invente des contes où des figures du règne animal (le serpent, l’abeille et le tigre) sont mises en scène pour enrichir la constellation symbolique de la marque.

 

Montres gucci avec des motifs animaux

Once upon a time

La formule magique, il était une fois « exprime de façon symbolique que nous quittons le monde concret de la réalité quotidienne », selon Bruno Bettelheim, psychologue et auteur de Psychanalyse des contes de fées. L’expression entraîne un basculement dans le monde des images : il est le puits de notre inconscient dans lequel Alice dégringole indéfiniment, un rideau qui s’ouvre vers le merveilleux. Le conte permet aux marques de luxe de s’extraire de la rationalité du monde, du caractère résolument tangible de leurs produits. Le court métrage Once upon a time, réalisé par Karl Lagarfeld qui relate l’ascension de Mademoiselle Chanel, prouve la volonté d’enchanter une histoire pour mieux la transmettre, comme un parent raconterait une histoire à ses enfants.

Il était une fois, certes, mais il était aussi beaucoup de fois. Combien de versions connaissons-nous de La Belle et la Bête, depuis le conte de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve à la version en prise de vues réelle de Disney en passant par le classique de Cocteau. Jean-Noël Pelen, dans son article « Réflexion sur l’en deça du sens dans la tradition orale », insiste sur « le plaisir intense des auditoires adultes aussi bien qu’enfants à l’anticipation de la narration » ; le plaisir à retrouver le motif du matelassé ou d’une veste en tweed dans un défilé Chanel relève d’une même logique. La forme est intemporelle. Cependant, lorsque le conteur et le créateur détournent le conte, ils introduisent un jeu ponctuel et contemporain avec l’auditoire, comme lorsque Luc Besson fait du grand méchant loup, un toutou aux ordres du Petit Chaperon rouge.

« Il était une fois » est comme le visage d’un ami d’enfance, si présent en chacun de nous qu’on en oublie ses traits, et pourtant, la formule raconte la singularité d’une vie, la rareté d’un objet unique, qu’un savoir-faire d’exception, voire énigmatique, à l’instar des techniques de fabrication du carré de soie d’Hermès, et un talent démiurgique de grands couturiers, de joailliers, d’orfèvres ou de maroquiniers, ont rendu possible.

Après avoir réenchanté le conte de Peau d’Âne en 2014, et plus précisément la version cinématographique de Jacques Demy, Van Cleef & Arpels, avec sa dernière collection de haute joaillerie « Quatre contes de Grimm », fait une nouvelle fois l’éloge du genre. La structure du conte telle que l’a analysée le folkloriste russe Vladimir Propp dans son ouvrage Morphologie du Conte s’adapte au storytelling formel des marques de luxe, que Van Cleef accentue en introduisant des chapitres et des portes mystérieuses, qui à la manière de cailloux blancs, guident, perdent et, aux deux sens du mots, ravissent un public dans la forêt du luxe où le verbe s’accorde « au temps où les souhaits se réalisaient encore ».

 

Image d'oiseau de Van Cleef and Arpels avec une fée et l'inscription "quatre contes de Grimm"

Les marques de luxe se nourrissent avantageusement de la temporalité complexe du conte de fées, dont le caractère pluridimensionnel offre une épaisseur de significations qui participe à l’émerveillement de son public.

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